TO 57 – Nuit Blanche

Ogma 57 ! J’ai décidé du thème donc je ne peux me plaindre de rien.

Participez, j’aimerais pas gagner encore svp et encore moins par forfait.

Thème : Une rupture amoureuse, mais dont la cause doit être liée à la nature profonde de l’univers, voire métaphysique.
Contrainte : Le début et la fin du texte doivent être la citation d’une comptine (pas forcément la même au début et à la fin).

A la claire fontaine, m’en allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné.

C’était cliché, mais alors qu’il avançait dans le blizzard, Marc pouvait revoir la courbe impossible de la chute de reins de Luca, la première fois qu’il le vit, nageant à moitié dans une fontaine clairement pas conçue pour. Sa spontanéité, son imprévisibilité même l’attirait. Marc avait toujours été un peu ennuyeux, ou plutôt il n’arrivait pas à mettre en scène de la joie. Être en couple avec Luca créait une dynamique qui palliait à cela.

Bien sûr, pensa-t-il alors qu’il perdait espoir, ça a aussi des mauvais côtés. Marc remarquait que les traces étaient de plus en plus recouvertes par la neige et le vent commençait à tracer des sillons concurrents avec lesquels il les confondrait vite, quand il aperçut la silhouette du traîneau. Il accourut mais lui aussi se couvrait de neige, depuis probablement plusieurs heures. Des creux arrondis – des empreintes de pas recouvertes ? – s’échelonnaient vers le nord.

*****

 

Leur relation avait été erratique. Il disparaissait sans politesses, pour des heures, parfois des jours. Marc n’apprenait son devenir que par hasard : il se trouverait dans une autre ville, 30km au nord. Il le rejoindrait là, et tous deux feraient comme si de rien n’était, comme si rendez-vous avait été pris.

Leur semblant de relation fonctionnelle migra toujours plus au nord, passant de la steppe à la banquise, son compagnon semblait en effet fasciné, reposé par les espaces sauvages. Finalement, faire semblant sembla payer. Ils finirent par se fixer dans une cabane au bord d’un lac arctique. S’occuper d’une petite portion de terre leur servait de loyer et d’emploi. Ils vivotaient, s’entendant bien avec la communauté de trappeurs, principalement des hommes du roi qui vivaient en contrebas. On devait s’inviter mutuellement, dans une ronde bien rodée quoique spontanée. C’est lors d’une de ces soirées, alors que Luca était au centre de l’attention que Marc réalisa que sur les près de huit mois qu’ils se connaissaient, quatre avaient été passés ici, ensemble, lors des longues journées polaires, qui parfois submergeaient complètement la nuit. Il contemplait sa beauté et son assurance à travers la fête, presque ému.

Le lendemain ses errances devaient recommencer.

Marc s’en voulait presque, d’avoir remarqué leur bonheur, leur constance, comme si le simple fait de le penser avait mis en péril cet équilibre fragile.

“J’avais besoin d’être seul.” disait-il à chaque interrogatoire. Marc reconnaissait ce besoin, mais tout de même, le paysage glacial était difficilement peuplé et ça n’expliquait pas tout. A la nuit tombée, presque systématiquement il était introuvable. Au coeur des nuits glaciales, Marc en était réduit à sa seule chaleur dans un lit deux fois trop grand… Que faisait-il de ses nuits ?

Il leur échut de nouveau d’inviter les autres trappeurs, mais cette fois-ci, Luca semblait un ilot dans la fête, qui lui tourbillonait autour sans l’affecter. Marc le regardait avec agacement. La fatigue venue, tout le monde dormit là, sauf Luca, à nouveau introuvable. “Bah, se dit Marc, c’est un grand garçon, il fait ce qu’il veut.” Pour une fois l’aura conjuguée des hommes du roi endormis emplissait l’air de tiédeur, presque moite.

Mais le lendemain matin toujours pas de trace de lui.

Le traîneau était parti.

Et deux traces partait encore plus vers le nord.

Les trappeurs enfourchèrent leur montures, ils connaissaient la région ce n’était pas le problème. Mais plus loin, même eux pensaient la route périlleuse, surtout alors que les jours raccourcissaient. Seul, c’est certain, Marc n’aurait aucune chance. Mais avec leurs chevaux, les hommes du roi pourraient baliser le territoire, se relayer pour se ravitailler. La piste était fraîche, et à mesure qu’ils épluchaient les possibilités, leurs allers-retours se ramifièrent sur une seule route, qui allait dangereusement vers le Pôle.

Marc finit par trouver Luca dans le demi-jour de l’aube. Le traîneau vide, plusieurs kilomètres avant lui avait fait craindre le pire. Luca faisait face au maigre soleil qui disparaissait derrière l’horizon. Sa silhouette nue semblait étrange. Les rayons solaires évanescents rasaient la plaine de glace. Deux ombres comme des troncs jaillissaient de ses chevilles nues.

“Très dramatique”, lança Marc. Luca bougea à peine la tête sans se retourner. “Tu aurais pu garder des vêtements.

– Trop lourds.”

A ce stade il savait qu’il ne fallait rien brusquer, sinon il s’enfuirait à nouveau ou se fermerait complètement. Mais où s’enfuir depuis là ?

“Tu veux que je te laisses ?

– Non, reste. Au moins que je te dise au revoir normalement.”

Marc resta silencieux, il faisait tout pour ne pas s’énerver, ou pour ne pas l’énerver. Ca demanda quelques instants.

“Donc c’est un au revoir ?

– Oui.

– Et les autres fois c’étaient des tentatives d’au revoir, tu essayais juste de me semer ?

– Non.”

Luca se retourna, et Marc vit alors ce qui clochait avec son corps. Sa silhouette semblait remplie de lumière, tranchant sur l’horizon irisé. Ses cheveux ondoyaient à peine malgré l’ouragan autour.

“J’essayais de gagner du temps, de gagner du terrain, de faire durer. Mais je suis trop monté au nord. Je peux plus redescendre.

– Viens avec moi. On peut en discuter.

– Tu n’as toujours pas compris ?”

Il s’avança et Marc l’observa plus en détail. Les rayons du soleil arrivaient dans sa peau, coquille de verre, et ricochaient à l’intérieur, le remplissant de moins en moins de lueurs. Ses yeux étaient d’or – ou était-ce le restant de soleil qui passait entièrement à travers ce spectre ? Il disparaissait.

“La plupart des phénomènes importants sont… Personnifiés d’une façon ou d’une autre. C’est mon cas. Je ne suis pas un mortel. Je suis… lié au soleil. Je suis une face du soleil.”

Luca hocha la tête en scintillant, il embrassa Marc d’une étreinte terriblement faible.

“Une personnification solaire, dit Marc après un moment.

– Je suis surpris que tu ne l’ais pas vu avant, je n’étais pas spécialement subtil.

– Je pensais que t’étais un vampire.”

Il ricana. Sa voix faiblissait aussi. L’oreille de Marc manquait de passer à travers ses lèvres fantomatiques en cherchant à l’entendre.

“Je pensais qu’en montant ici on pourrait avoir… Eh bien, quelques mois, profiter des longs jours. Et on les a eu, on les a eu. Mais c’est le dernier jour de l’année.”

Marc allait répliquer, pinailler, comme c’était dans sa nature. Luca le sentit et le coupa : “Le dernier jour de l’année. Après cela, six mois de ténèbres.

– Retournons au Sud, n’importe où, où il y a encore du soleil.”

“Je ne peux pas, je suis coincé ici maintenant. Et je ne verrai pas le début de la nuit.”

Ils restèrent ainsi un moment.

“Mais au printemps prochain, tu sais, avec le retour du soleil, tu reviendras ?”

Le silence fut tellement long que Marc finit par croire qu’il avait disparu pour de bon.

“Je ne sais pas où je réaparaitrai, reprit Luca, où j’irai. Je ne choisis pas. Je ne sais même pas si je me rappellerai de toi.

– Donc c’est un au revoir.

– Un adieu.”

Il l’embrassa, et ce qui lui restait de substance se dissipa avec la pression sur les lèvres de Marc, qui resta debout seul, la nuit tombée, le monde perdu dans un gris indistinct, qui mangeait jusqu’au vent.

 

Bientôt, il le sait, il devrait retourner sur ses pas. Il dépasserait le traineau inutile. Il trouverait le relais là où il l’avait laissé, il pourrait s’y réchauffer et se nourrir. Mais il savait aussi que tous les chevaux et tous les hommes du roi ne pourraient rien faire pour le remettre d’aplomb.

 

All the king’s horses and all the king’s men. Couldn’t put Humpty together again

 


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