TO LV – La Huitième Triade

Contribution à Tétynons Ogma 55, après la victoire de Burzumzumzem et qu’il ait donné le sujet suivant :

Thème : Le feu tombe du ciel.
Contrainte : Le récit ne doit comporter aucun acte de violence d’un ou des êtres humains envers un ou des êtres humains.

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Vous remarquerez une persistance des thèmes astraux. Corrections orthographiques & autres à prévoir d’ici l’ouverture du vote. Pour l’image de titre le mandala vient apparemment d’ici et la photo de falaise de Wikimedia (Joe Parks). Note : j’ai gagné, apparemment.


* * * * *

Au commencement il y eut le Dyèdre, fait d’une sphère et un cube entremêlés. La sphère sait. Le cube est. Trois fois huit paroles naquirent de leurs intersections. Les vingt-quatre Paroles se murent dans le vide et contemplèrent le Dyèdre de l’extérieur, sans pouvoir y entrer.

Les premières trois Paroles unirent leur force et pressèrent la paroi, jusqu’à la percer. Le voile céda et la course de la première triade fut forcée le long de la sphère. L’une des paroles devint un principe visible, la Lune ; la deuxième devint le principe moteur,  ce qui faisait mouvoir la Lune, et la troisième devint le principe invisible de la Lune qui gouverne le monde.

La deuxième triade devint Mercure, son principe moteur et son principe invisible

La troisième triade devint Venus, son principe moteur et son principe invisible

La quatrième triade devint Mars, son principe moteur et son principe invisible

La cinquième triade devint Jupiter, son principe moteur et son principe invisible

La sixième triade devint Saturne, son principe moteur et son principe invisible

* * * * *

Deux figures encapuchonnées s’écartèrent des routes de pierre fondue et s’enfoncèrent dans la forêt de vide des collines. L’air se raréfia et leur peau même se couvrit de lueurs. Au bout d’un moment un des deux pointa son index vers les cieux.

L’autre fixa longuement dans le prolongement.

Il cillait, puis reprenait son poste, pour être sûr que ses yeux ne le trompaient pas. Mais il voyait clair: la ligne blanche, jusqu’ici imaginaire, devenait visible.

«Si on m’avait dit un jour que je verrais les traits entre les étoiles.

– Pourquoi tu crois qu’on les regroupait comme ça ?

– Je sais pas, je pensais que c’était mnémotechnique, comme les constellations à noms d’animaux ou de héros, ou…

— Tu ne les as jamais vu, toutes ces années à fixer les cieux ?

— Parfois je les ai vus, mais je pensais que c’était ma fatigue oculaire. Ou mon imagination. Je sais pas.

– Si on t’apprends des traits entre les étoiles c’est que d’une façon où d’une autre y’a des traits entre les étoiles. Tu crois quoi ?»

Sozomène laissa passer un moment d’observation silencieuse et reprit :

«Quand j’étais petit je pensais que c’étaient des sortes de grandes lanternes, que des gens transportaient sur de très hautes et très lointaines montagnes.

– Ben non.

– Je sais pas, à l’époque ça semblait plus plausible qu’une interminable sphère de feu.»

Il regarda les étoiles et le mince trait, fibreux comme une aurore, qui se dessinait entre alpha et beta du centaure. Malgré tous ses efforts et ses années d’entraînement théorique, il ne voyait l’empyrium que comme une métaphore savante. Impossible pour lui d’imaginer un mur de feu éternel derrière le ciel nocturne. Les étoiles ne seraient de des serrures au travers de la ténèbre ?

Plus tard, il ne verrait les étoiles et les planètes que comme des nombres, des levers, des couchers, des zéniths, des angles, tous prévisibles par de longs tableaux et de longs calculs. Il fallait alors supposer encore plus abstrait : comme si le monde tournait autour du soleil. Mais il s’empressait de jeter la métaphore une fois l’équation résolue, et rendre compte à son client.

«Et du coup, ce trait, c’est quoi ?»

* * * * *

La Septième triade força l’entrée et enfonça un coin entier du Dyèdre, qui devint une énorme abîme. Les trois Paroles, emportées par leurs élans, furent détruites par leurs propres forces. Leurs morceaux épars, pulvérisés, firent de milliers de milliers de trous à la paroi opposée de la sphère.

Les planètes seraient désormais emportées par l’abîme, dans une chute perpétuelle vers l’Empyrium.

La huitième triade, voyant cela, renonça à pénétrer le Dyèdre, fragilisé qu’il était. Les trois paroles restèrent hors du monde, se contentant de le regarder à travers les trous ainsi percés, guignant les hommes et attendant leur heure.

* * * * *

«Le coin enfoncé par la septième triade, devint le soleil, le plus important puits vers l’Empyrium. Quant aux autres trous, ce sont les étoiles, conclut Amphorion. Les traits, ce sont les points de tension, de fragilité entre les étoiles, dans le voile du ciel.»

Le temps qu’il raconte, le trait dans les cieux était devenu presque aussi lumineux que les étoiles, et à leur contact, il s’élargissait presque.

«Le ciel est en train de se déchirer ?

– Oui.»

Alentours, des feux s’étaient allumés sur les montagnes. De sommet en sommet, des foyers propageaient la nouvelle.

«Et après ?»

Le vieil homme resta silencieux, regardant la constellation monotone du feu humain sur les cîmes, piètre écho du feu céleste. Il reprit finalement :

«Le côté positif c’est que les horoscopes seront beaucoup plus faciles à faire.»

* * * * *

Zosime et Sozomène se désaltéraient en gardant un oeil sur leurs chevaux. Un autre astrologue rameutait des clients dans un coin de la taverne.

Sozomène avait remarqué que, comme beaucoup de sciences, l’astrologie n’avait rien à voir avec son objet premier. Un horoscope ne parlait jamais des astres et on ne s’interrogeait jamais sur leur devenir à eux. Ils étaient là, mécaniquement, et délivraient des conseils

Peut-être qu’on aurait dû plus les écouter.

«Et qu’est-ce que ça veut dire pour les scorpions ?

— Ecoutez, reprit pour la quatrième fois l’astrologue fatigué, ça change rien pour qui que ce soit. Votre signe est défini par dans quel zone du ciel le soleil était st un nouvel astre ça affecte que l’horoscope des gens qui naissent maintenant.

— Et qu’est-ce que ça veut dire pour mon fils ?» Un homme brandissait un nouveau-né.

«On va vraiment tous mourir ?» demanda Sozomène à voix basse.

La première constellation à céder fut effectivement le centaure. Quelques jours plus tard, une fente disjointe, en croix, s’était ouverte sur un puits de lumière. La fissure était pour l’heure contenue, entre un maigre lever de soleil et un gros clair de Lune, mais elle mettait déjà à mal la séparation entre jour et nuit, maintenant que le soleil avait un luminaire compagnon qui prenait le relais le soir.

«Pour l’instant c’est pas si terrible, au pire, il fera plus nuit, reprit Sozomène.

— Imagine cinquante soleils. Cinquante soleils interminables. Plus de nuit pour que la terre refroidisse ou que l’eau se condense. Imagine les récoltes.

— C’est vrai, dit Sozomène après un moment.

— Et c’est sans compter les fissures qui seront plus grosses que le soleil. Et elles sont d’une nature différente. Le soleil est un puits, un entonnoir, tandis que ces fissures, ces nuées… Une d’entre elles va passer pas loin.»

Zosime lui montra un arc de cercle sur une carte, et du doigt la vallée. En sortant, ils virent la ville en question en contrebas. «Le Verseau s’est ouvert cette nuit, d’après mes calculs. On devrait le voir se lever à l’horizon. Mais prends garde, ça ne va pas durer longtemps.»

Une lueur pointait effectivement dans la brume qui coiffait les collines. Sozomène regarda avec une certaine tendresse la tableau champêtre constitué des paysans en contrebas qui amassaient du foin. N’étant pas sur ses gardes il fut surpris par l’éclair de feu qui surgit alors de l’horizon. En un instant, une colonne de feu s’abattit sur le sol en diagonale. Sozomène avait à peine eu le temps de se rendre compte de la taille gargantuesque de la nuée que cette lame flamboyante avait tranché toute la vallée dans une longue ligne droite avant d’aller s’encastrer entre deux montagnes à l’horizon opposé. Sur près d’une lieue de large, et bien vingt de long, les champs, quoiqu’effleurés par le feu céleste, étaient noircis comme la mort. Des flammes bleues garnissaient les arbres.

La colonne de feu, était toujours visible par-delà les montagnes, comme un glaive planté de travers. Les gens commençaient à hurler, à sortir, à déplacer les cadavres lointain — sans admettre pour l’heure que c’étaient des cadavres — extirpant ces corps noircis, sous lesquels le sol était à peine moins calciné.

Sozomène était bouche bée. Un nouvel éclair attira son attention au coin de son œil : Zosime avait enfourché sa monture et fonçait à travers la foule. Il se ressaisit à grand-peine et fonça à sa suite.

* * * * *

«Maintenant !»

Voilà plusieurs jours qu’ils chevauchaient. Une fois la lame disparue à l’horizon, l’équipée s’élança au trot dans la lande détruite, à peine la colonne de feu avait laminé le désert. Le sable en était encore brûlant, et embêtait visiblement les chevaux.

«Pourquoi est-ce qu’on continue à chevaucher ?, cria Sozomène à travers le vent subjectif. Ca faisait près de deux semaines qu’il ne couchaient jamais deux fois au même endroit.

— Toutes les latitudes où une constellation a déjà percé sont mortelles, répondit Zosime. On ne peut pas y rester, toutes les vingt-quatre heures, au mieux, elle repasse.»

La carte était criblée de lignes, qui marquaient les cercles sur lesquels bougeaient les nuées de feu, comme une grande course de haies. Sur cette plaine, trois nuées se relayaient, et c’était le seul moment où passer. Sozomène se souvenait des marées au village, enfant. Les horaires subtils, les calendriers de lune lui revenaient en mémoire, et la fascination pour la force lunaire qui le conduirait à devenir astrologue.

«Si on va assez vite on peut passer d’une zone à l’autre quand la nuée n’est pas là, où se planquer dans des caves, des bâtiments assez épais, et repartir quand c’est passé.

— C’est un répit qu’on n’aura pas longtemps. Dès que toutes les constellations se seront ouvertes, il n’y aura pratiquement plus un point sur terre qui ne sera pas dévasté par le feu céleste. Et c’est sans compter sur une déchirure intégrale du ciel : une sphère de feu perpétuelle partout, qui annihile jusqu’à la pierre.

— Pour de vrai ?

Zosime haussa les épaules «C’est débattu. C’est une théorie. Ce serait la suite logique en tout cas. Tout ça pour dire que si vous voulez vous planquer dans des caves, vous avez intérêt à creuser vite.

— On ne peut rien faire ?

— Prier pour qu’il pleuve ?
La ville qu’ils avaient traversée une semaine plus tôt avait eu la chance d’être couverte par d’épais nuages quand elle s’était trouvée sur la route de la nuée d’Orion — ouverte plus tôt que prévu. Les calculs devenaient de plus en plus dur dans ce jour perpétuel : avec tous les soleils, on ne voyait plus les étoiles et encore moins les déchirures. Les cumulonimbus avaient été pulvérisés en une épaisse et très chaude vapeur, mais ils les avaient sauvés de l’impact. Il semblait que les nuages épais se faisaient rares pourtant, peut-être à force d’être découpé en tranches par les lames de feu.

Sozomène arrêta son cheval entre deux pierres calcinées.

Zosime continua sur quelques enjambées avant de se retourner aussi.

«Qu’est-ce que tu fais ?

— Si il n’y a aucune issue, je fais demi-tour. Ici ou ailleurs…

— Il y a une issue, viens !, cria Zosime.

— Laquelle ?

— Les nuées de feu. Plus elles sont proches de l’équateur, et plus elles vont vite, pas vrai ? Puisqu’elles doivent parcourir un plus grand cercle en vingt-quatre heures.

— Et alors ?

— Alors, mon jeune ami, on va au Pôle Sud.

* * * * *

Leur bateau était fait d’un équipage bigarré, des bâtisseurs de temples orientaux en bois, des ingénieurs, des éleveurs et bien sûr quelques obligatoires marins. La traversée ne serait pas facile, vu qu’elle dépendrait des vents, et — elle aussi — devrait éviter de se trouver sur le parcours des lames ardentes.
Les deux navires se suivaient plus ou moins, pour l’instant ils n’avaient traversé que de petites nuées, qui étaient même plutôt agréables dans le climat de plus en plus glacial à l’aproche de l’antarctique et quand une fréquence accrue des monceaux de glace rendait le parcours plus difficile.

Ils jetèrent l’ancre dans une anfractuosité au bord de la côte de glace.

«Si on doit la contourner, ça nous prendra trop de temps, mais dans quelques heures, le Caméléon devrait s’ouvrir, et en passant ici creuser pour nous un passage à travers la glace.

— Un seul passage suffira ?

— Les nuées sont plus lentes ici. Je pense que oui, au pire, on devra attendre plusieurs jours, que cela soit creusé. Si on contourne, on perdra près de deux semaines.»

Ils attendirent. Derrière eux l’immensité de l’océan et devant eux la lande glacée de l’antarctique, d’abrupte pentes menant au sommet de la calotte.

Six heures après, Sozomène admirait les rais qui débordaient de tous les horizon, et s’atténuaient en disparaissant vers le cosmos. L’atmosphère semblait irréversiblement chargée de lumière.

«Où en est Apus ?

— Déjà ouverte la semaine dernière je crois.

— Ca ne va pas nous croiser avant le Caméléon ?»

Zosime haussa les épaules.

«Au pire ça préparera un peu la route, Apus est une petite constellation.»

On la voyait effectivement qui allait bientôt atteindre leur zénith, les éclairant comme trois clairs de lune et juste derrière elle le Caméléon.

Quand soudain une énorme déchirure engloba le Caméléon et Apus et l’entièreté du monde fut infusé de lumière intensément jaune. La fente dardait dans six directions, quoiqu’on n’arrive pas à la regarder directement sans dommage pour ses yeux. Un immense poing ardent s’abattit dans l’océan, à peut-être cent lieues de leur embarcation.

«Elle fonce sur nous !

— Il faut qu’on parte d’ici !

— On a pas le temps !

— Vous disiez que les constellations étaient plus lentes !

— Oui, elles vont quand même à trois cent lieues à l’heure ici !

Le pied de la nuée s’enrobait de vapeur, un mur de nuages avançait avec elle.

«En quoi est-ce que c’est lent ?!

— C’est lent par rapport à ailleurs»

La force du rayonnement commença à les atteindre. La glace éclairée fumait légèrement et l’autre navire remontait son ancre pour sortir du chemin de l’astre.

Ambroise, un charpentier, les chargeait d’invectives :

«Ben bravo les scientifiques ¨!

— Ca a jamais été une science exacte !

— Je vois ça ! Dans quel sens on va ?

— Quoi ?

— Pour s’écarter du feu ?

— Huuuuh.» Sozomène regarda sa carte astrale en transpirant. «Vers la côte, mais y’a pas de vent.»

L’eau commençait même à tiédir alors que l’autre navire tentait de ramer vers eux sous les cris d’Ambroise. Un bruit de cascade annonçait la proximité de la colonne ardente. Alors que la lumière aveuglait tout le monde et que le bruit de l’eau pulvérisée noyait les voix, Sozomène vit l’autre navire détruit par la colonne de feu entre ses doigts, tandis que tous s’abritaient du vent incandescent. La lame atteignait jusqu’au fond de la mer, créant un puits qui la suivait, se refermant derrière elle.

Un instant plus tard, le feu était aussi loin que trente secondes auparavant.

L’équipage desserra les bras, couvert de brulûres, là où ils n’étaient pas couverts. La maigre distance ne les avait pas protégé. Zosime jeta ses vêtements noirs, brûlants, au sol. A peine eurent-ils le temps de s’éberluer devant les poissons qui remontaient à la surface — sans trop avoir le choix — que de grands craquements animèrent la coque.

«La chaleur !» cria Zosime.

Les clous qui joignaient les planches, dilatés, étaient en train de sauter, la poix diluée par l’eau bouillante. «Il faut écoper !» cria un mousse qui joignit le geste à la parole en s’ébouillantant gravement les mains. «D’accord mauvais plan !» hurla-t-il de bonne grâce.

«Sur le pont !»

L’eau montait et Sozomène comptait facilement trente colonnes de feu sur le pourtour de la mer, mais malgré ça, un semblant de nuit se faisait : les flammes étaient toutes au loin. Et alors qu’autour de lui on assemblait des poutres, des planches et des cordes,, il parvint à distinguer la Croix du Sud, intacte.

* * * * *

Le radeau, constitué en urgence, avait accosté sans trop de peine le continent glacial.

La glacier continuait sur quelques lieues, mais s’arrêtait net sur une falaise. Après une centaine de mètres de, il reprenait, à la même altitude. Cinquante mètres plus bas, l’océan dans l’interstice. Le passage répété des nuées avait creusé ce fossé.
«Hé, merci Zosime, bien joué.

— Qu’est-ce que j’en savais ? Les bateaux ont déjà de la peine à arriver sur la côte.

— Comment on traverse ?

— On peut aller chercher les radeaux, sauter avec, traverser et escalader la paroi d’en face, suggéra Sozomène.

— Ok, les astrologues, vous avez passé votre tour d’idées à la con dit Ambroise, le charpentier. A nous.

— Un trébuchet, dit Lactance.

— J’allais dire pareil, dit Ambroise en souriant.

* * * * *

Zosime s’extirpa des multiples couches de tissus empilées pour amortir le choc. La traversée avait été rude, et l’atterrissage plus encore, le choc ayant rembobiné son souffle. Mais il avait été projeté avec succès de l’autre coté de l’abîme, avec le reste de l’équipage (moins un mousse dont on avait mal estimé la résistance à l’air). Lactance rembobina le cordon rattaché au paquet, qui repartit vers la rive de départ, frôlant, dangereusement mais savamment, la surface de l’eau, alors que l’accélération du rembobinage l’en éloignait.

«Et comment lui va faire pour traverser ?» demanda Sozomène en regardant la mer dans l’ombre de la falaise.

Zosime s’épousseta en répondant : «C’est un garçon plein de ressources. J’espère juste qu’il arrive à passer avant que la nuée ne revienne. Enfin on devrait la voir venir.»

Le trébuchet était effectivement déjà en train de s’activer, mais dans une forme inédite. Zosime enclencha une charge explosive là où il avait précédemment enfoncé des coins dans la glace. Un pan entier de la falaise de glace se détacha et glissa avec un fracas sourd dans le canal. Il ne s’enfonça qu’à moitié

«Il évalue la profondeur.» comprit Sozomène à voix haute.

Après quelques explosions et coins enfoncés, il parvint à encombrer la moitié du canal. En face, Ambroise s’affairait avec les explosifs que Lactance avait expédié, créant finalement deux grands amas de glace qui se rejoignaient en pente entre les deux parois.

«C’est moi ou le niveau d’eau a changé ?» demanda Zosime à mi-voix.

On commença à transférer les morceaux de bois qui en étaient déjà à leur troisième vie : navire, radeau, maintenant trébuchet. Les soupçons de Zosime se confirmèrent pendant leur va-et vient. L’eau fluctuait effectivement et un semblant de courant semblait traverser le tas de glace précaire. Sozomène regarda l’horizon, où on voyait la nuée se profiler — certes à une vitesse peu inquiétante pour l’heure. Pas loin, la lune, éclairée de toute part.

Le tas faisait barrage, et une marée insistante agitait la face est, soulevant et rabaissant les morceaux de glace empilés, menaçant de disloquer le tout.

«Il faut qu’on sorte de là, cria Sozomène.

— Je comprends pas pourquoi l’eau change, répondit Lactance, c’est même pas connecté à la mer !

— C’est parce que la nuée chauffe là-bas, ça fait fondre de la glace et bouillir l’eau, ça crée un courant !»

Lactance n’écoutait pas, il gravissait à nouveau la face opposée, malgré le fait que tout le monde lui disait de laisser tomber le reste du matériel. L’eau commençait à resurgir alors qu’il redescendait avec une poutre qu’il peinait à transporter. Les blocs qui adhéraient à la paroi commencèrent à glisser vers la surface, peut-être atteints par de l’eau tiède.

Un éboulement se fit autour de Lactance qui brandit la poutre qu’il tenait, coinçant deux blocs qui lui tombaient dessus. Il resta un instant haletant alors que tout le monde reprenait son souffle, mais le bloc sur lequel il était se déroba sous ses pieds et il fut écrasé par la glace. Ambroise et les autres se jetèrent sur le pont pour le secourir, sans grand succès.

Sozomène sentit soudain une présence derrière, lui, la première depuis l’embarquement. Une femme en toge, sans se soucier du froid, regardait le spectacle.

«Il n’y a pas que la nuée qui fasse varier le niveau de l’eau.

— Pardon ?» Sozomène ne comprenait pas ce qui se passait.

«Il y a d’autres facteurs.»

Elle pointa vers la lune bizarrement éclairée et passa la main devant, la faisant disparaître.

Le niveau d’eau descendit immédiatement, et le pont de glace improvisé avec lui, s’écrasant brusquement stable — avec toujours l’apprenti menuisier dedans.

«Les parois s’amincissent.» dit-elle.

Puis elle disparut également. Ambroise se relevait sur la glace immobile, sans espoirs de secourir Lactance.

* * * * *

Zosime n’eut pas l’occasion de parler de cette étrange rencontre au groupe affligé par la mort de Lactance — et un peu du mousse qui était tombé à l’eau mais personne n’était sûr de la prononciation exacte de son nom. Il passèrent plusieurs cercles concentriques de même nature, qui étaient creusés par les nuées qui tournaient autour du pôle et commencèrent même à voir d’autres expéditions qui confluaient vers leur destination.

«Le voilà.» dit Zosime.

Le temple étaient comme il l’avait entendu, circulaire et fait de blocs de glace. Une fois dedans, ils se sentirent bienvenus, mais légèrement inquiets que personne ne parle leur langue. Les réfugiés venaient du monde entier. Beaucoup discutaient en regardant des cartes astrales, mais qui utilisaient des notations différentes ou n’étaient pas orientées comme les leurs.

«C’est une sorte de clubs d’astrologues qui prévoyaient de se retrouver ici quand ça arriverait ? demanda Ambroise.

— À peu près, dit Zosime clairement sans vouloir développer.

— On fait quoi maintenant ?

— On attend.» conclut Zosime.

«Zosime ?

— Oui Sozomène ?

— J’ai vu quelqu’un, quand on a passé le fossé avant.»

Il lui raconta.

«Je crois que c’était une des Paroles.»

Zosime le regardait.

«Je ne sais pas. J’imagine que c’est possible. J’ai toujours pensé que c’était plus une sorte de métaphore.

— Avec ce qui se passe, ça ferait sens, tu sais, qu’ils nous envoient un message.

— Quand on a besoin d’un message on s’en imagine, aussi.»

Une clameur se fit entendre de l’extérieur. A la faveur des maigres heures de nuit qu’ils avaient à cette période, beaucoup sortaient pour observer.

«Qu’est-ce qu’il se passe ?»

Zosime interrogea un des gens qui couraient, dans une lingua franca qu’il maîtrisait vaguement. «Ils disent que les planètes se sont complètement arrêtées.

— Et tu ne crois pas que c’est ça, Zosime ? Les principes invisibles et moteurs qui nous envoient un message, qui se manifestent à l’heure la plus sombre ?

— Pas vraiment.» dit la femme en toge à la droite de Sozomène.

Un immense craquement se fit entendre.

Le ciel se déchira, le feu enveloppa la terre.

La calotte glaciaire s’évapora d’un coup à l’impact et le temple avec.

* * * * *

La huitième triade entra dans le monde aplani par la sphère de feu. Les trois paroles exilées parcoururent le fond des océans évaporés, l’intérieur des forêts calcinées, les grottes remplies d’air chaud.

Cela ne ressemble pas à ce que nous voyions à travers les étoiles. dit une parole.

Cela manque effectivement de mouvement. dit une autre parole.

Nous regardions tout à travers un voile de feu. Le feu est animé. Il a dû rendre nos visions plus belles qu’elles n’étaient. Plus vivantes. dit la dernière

Ils se tournèrent vers les cinq planètes et la lune, qui orbitaient toujours, cherchant un moyen de décrocher ces compagnons. A travers le feu, ils rassemblèrent les fragments de la septième triade étincelant les étoiles, et en firent un monticule à leur mémoire.


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