Cultural Appropriation

Appropriation. The latest word every one wants to use, hurling it at one another with faux intellect. As soon as you see it in an article or headline, you sigh because it’s either, “I can’t believe they [as in white people] are pulling this stunt again [side eye],” or it’s a tiring and confusing tirade that has been conflated far past the point of making sense. (Jouelzy)

D’habitude, quand on tape sur l’appropriation culturelle, on tape sur les blancs de coachella qui portent des bindis. Mais plus récemment, Zipporah Gene écrivit sur Medium : Black America, please stop appropriating African clothing and tribal marks. Yes, that means everyone at Afropunk too.

I’m not trying to start a war, but I would just like you all to realize the hypocrisy of seeing someone wearing a Fulani septum ring, rocking adjellaba, painted with Yoruba-like tribal marks, all the while claiming that this is meant to be respectful. It’s a hodgepodge, a juxtaposition, a right mess of regional, ethnic and cultural customs and it screams ignorance and cultural insensitivity.

Yes, that’s right, even when worn by Black people.

I know it looks cool and the wearer looks unique, but if you look at it for what it is, it’s still cultural appropriation. […]

Sure we may not wear Ichafus on a day-to-day basis anymore, but that doesn’t mean their significance to us is lessened. These things are reserved for funerals, births, weddings . . . significant rites of passage — vital points in our lives that we share with our community and people. It is how we express ourselves in the collective.

It is should not be a fashion statement to create shock or awe.

Black people or otherwise.

On lui répond qu’il ne serait pas possible pour les noirs américains de s’approprier la culture africaine. (l’URL nous dit que le titre primordial fut is-it-cultural-appropriation-when-africans-wear-jordans voilà voilà) Parce qu’ils sont opprimés et coupés de leurs racines africaines. Leur interdire ces réappropriations maladroite, c’est prolonger cette césure entre les deux :

My grandfather was an enslaved African. He was 18 when slavery was abolished in the United States and I don’t know if he knew his mother, his father, his brothers, his sisters or his grandparents. I do not know if he knew what tribe he hailed from.

For black Americans, tracing our lineages back to their African origins is almost impossible (unless we use DNA testing). African enslavement left us devoid of a way to define ourselves. It severed familial ties and deprived us of any viable opportunity to reclaim them. When we go looking for our ancestors and their culture, we’re chasing shadows.

This is why it hurts when native Africans criticize black American attempts to regain a lost portion of ourselves.

Jouelzy sur The Root pointe que les noirs en question sont peut-être africains « d’origine » étant donnée la diversité américaine, et l’immigration africaine plus récente. La multitude des réponses bégayant diverses variantes de cet argument firent même écrire à Zipporah Gene un addendum « equally obtuse » d’après Craven :

As expected, pointing out the superficiality of this new generation of ‘Pan-Africanism’, meant that I soon became the direct target.

But, hey, what did I expect from superficiality?

Naturally, this led me down the brutal road of introspection and really brought up some hard questions that I hadn’t asked myself in a long time. Through all of the racism and pointless name-calling, important issues were raised […]

Unlike a lot of people from the diaspora, I do know my tribe. Some may say that is an advantage, but for anyone who has ever grown up on theMotherland, as it were, they will know and understand that this can also be a burden. What people fail to understand is that unlike those from the diaspora, I can never look at the elegent wrappers/kente of Ghana and decide that I prefer their styles to my tribe and wear it. It is a near unspoken rule.We have our lines and we don’t cross them.

Growing up, whether through a mix of complacency, security, and childhood obliviousness, I have never felt the compulsion to wear my culture on my sleeve. My mother would buy me traditional dresses, which would be reserved for special occasions. We would cook traditional food at home, and she would always tell me traditional stories and teach me how to read and write in her language. It was never something that needed an outside perspective, or acknowledgement.

De toute évidence la conversation voit deux coeurs concurrents :

  • Africains : vous nous piquez nos trucs sans égards pour nos cultures, mélangeant des symboles tribaux parfois antagonistes
  • Afro-américains : oui mais on n’a pas un pouvoir culturel relativement énorme et en plus on a été coupé de notre culture donc vous pouvez au moins nous laisser ça.

Tout ça n’a rien de surprenant. Au fond, si l’on cherche une cause matérielle, cela remonte à la nature de l’esclavage américain. Contrairement aux Caraïbes ou au Brésil, qui de par la nature des cash crops (canne à sucre, surtout) voyaient un arrivage continuel et massif d’esclaves africains, surtout des hommes adultes pour travailler dans des plantations intensives. Les plantations américaines, de plus petite échelle, voient vite des familles d’esclaves se développer sur le sol américain, adjointes aux fermes. Les taux de natalité/mortalité, moins sévères que dans les Caraïbes firent vite que la population noire se renouvelait. Cela impliquait une atomisation de la diaspora, en même temps qu’une christianisation assez intensive. De l’autre côté, les esclaves qui vivaient par 300 sur d’immenses plantations de cannes à sucre et qui voyaient un arrivage continuel de gens du continent (parce qu’il fallait bien remplacer ceux qui meurent), arrivaient beaucoup plus facilement à rester en contact avec leurs racines. D’où le vaudou, le candomblé, l’umbanda, le palo monte, etc.

[Certaines réponses (d’assez mauvaise foi je trouve) tentent de se servir de cet héritage directement africain, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud, pour justifier toute récupération, par des Afro-Américains d’Amérique du Nord, comme si c’était pareil.]

Quelques chiffres pour illustrer : d’après la Trans Atlantic Slave Trade Database entre 1501 et 1866, près de 5 millions d’esclaves furent importés au Brésil (4,864,374), 2,318,252 furent débarqués aux Caraïbes britanniques, 1,292,912 dans les colonies espagnoles et 1,120,216 dans les caraïbes françaises. Par comparaison seuls 388,747 arrivèrent en Amérique du Nord, ce qui fait même moins que dans les colonies néérlandaises (444,728).

(certaines estimations prennent en compte que des dizaines de milliers d’esclaves auraient été transférés des colonies espagnoles ou portugaises vers les Etats-Unis ensuite, portant ce chiffre vers 450’000 ou 500’000, ce qui reste bien en dessous des Caraïbes, du Brésil ou des colonies espagnoles)

Malgré leur tentative de se pan-africaniser, les noirs américains sont souvent regardés avec curiosité par les autres tenants du panafricanisme, justement à cause de ce manque d’héritage et parce qu’ils ne savent pas trop où piocher.

 Julia Craven reprend :

  But cultural appropriation requires a degree of economic and political privilege black Americans simply do not have. We cannot oppress Africans, shame their cultures, claim it for ourselves and then decide it’s trendy. Even if we could, that’s certainly not what’s happening here, by any stretch of the imagination.

Mais je crois que la réponse au post de Zipporah Gene montre qu’au contraire les noirs américains ont un certain retentissement. Le post de Craven a été partagé près de 10’000 fois sur Facebook. Je crois que je n’ai vu pratiquement que des rétorques négatives à celui de Gene. Je vous invite à lire les 200+ commentaires, qui sont pratiquement tous négatifs et qui houspillent Gene parce qu’elle ne comprend rien aux enjeux américains. Si c’est comme ça à chaque fois qu’une personne africaine se plaint légèrement…

Néanmoins les afro-américains, malgré leur déculturation et la séparation profonde d’avec l’Afrique de par l’esclavage, ont certainement certains privilèges par rapport à certains Africains. Même en prenant en compte les fléaux qui les affligent (pour citer Craven : « violence inflicted upon black bodies by domestic terrorists with anti-black agendas, modern-day police forces that grew out of slave patrols, housing discrimination and rampant economic inequality. Even our names are those of the people who stole us from our homeland, beat us, raped us, bred us like cattle and, today,systemically bar us from upward mobility. »), il n’est pas dur d’imaginer une région d’Afrique qui l’aurait pire eux, sur le plan médical, de l’accès à l’information, de la guerre, etc.

Imaginons que les noirs américains, peut-être dans un programme pour renouer avec leurs racines africaines, démarrent une entreprise de charité en Afrique, dans une zone plus ou moins dépeuplée. Ils l’investiraient petit à petit et commenceraient à y reconstruire des institutions durables. Leur pouvoir d’achat, énorme en comparaison avec le pays d’accueil, leur donnerait une large marge de manœuvre pour investir, admettons même qu’avec un peu d’aide internationale ils s’achètent carrément une large portion de terre pour créer un pays.

S’il y a des ressources exploitables on saura bien vite les vendre aux USA, ou d’autres occidentaux qui manqueraient pas de graisser des paumes. Maintenant, puisque les terres vierges sont vraiment rares, nous devons considérer qu’il y a une population africaine indigène, qui, on pense bien, ne parle pas anglais. Il devient vite clair que les noirs d’origine américaine, plus riches, dotés d’un patrimoine en arrivant, plus éduqués, et qui créent les institutions dans lesquelles ils évoluent ont des avantages indépassables sur les africains indigènes, qui deviennent vite des citoyens de seconde zone, une main d’oeuvre pas chère, même s’ils étaient plus nombreux.

Sur le plan politique, il y a aussi quelques avantages à être américanisé. Ils gardent des liens avec les Etats-Unis, qui admettons sont encore plus ou moins le gendarme du monde, donc ils savent quels boutons presser pour que l’Occident vienne calmer leurs indépendantistes ou autres rebelles. En cas de dégradation des relations avec leurs voisins, voire de guerre, ils sont alliés d’office. Cependant, les tensions entre la population américanisée et la population africaine deviennent trop grandes, ravageant le pays dans une série de coups d’états et de guerres civiles qui lui coûtent une part énorme de sa population.

Mais Lays, me direz-vous, tu as dit toi-même que les dystopies étaient trop souvent des âneries écrites pour réfuter sans efforts nos adversaires politiques. Tu ne vas quand même pas tomber dans le piège ?

Sauf qu’on n’a pas besoin d’une grande imagination pour cela puisque c’est pratiquement au mot près l’histoire du Libéria.

 

(L’article anglais est mieux)

Souhaitant imiter l’Angleterre, qui avait fait pareil avec ses esclaves libérés au Sierra Leone, l’American Colonization Society souhaite aider les victimes de la traite et leurs descendants à regagner l’Afrique, investissant donc le Liberia dès 1822, qui devient un commonwealth en 1838 en absorbant la Republic of Maryland (un autre état fondé par l’American Colonization Society)  puis une République indépendante en 1847.

Mais, ironiquement, les autochtones se voient imposer du travail forcé. En 1931, la Société des Nations condamne les conditions de travail forcé imposées aux autochtones et pour citer le Report of the International Commission of Inquiry into The Existence of Slavery and Forced Labor in the Republic of Liberia : « systematically and for years fostering and encouraging a policy of gross intimidation and suppression », « [suppressing] the native, prevent him from realizing his powers and limitations and prevent him from asserting himself in any way whatever, for the benefit of the dominant and colonizing race, although originally the same African stock as themselves » par les américano-libériens pour le compte de multinationales de l’industrie du caoutchouc.

Le scandale contraint le gouvernement à la démission. En 1936, le nouveau gouvernement interdit le travail forcé. Néanmoins, les autochtones, privés de droit de vote, restent des citoyens de seconde zone. C’est en mai 1945 que le président William Tubman accorde le droit de vote aux autochtones.

À partir de 1960, le Liberia entre dans une période de vingt années de prospérité, grâce à des concessions offertes à des multinationales étrangères (principalement américaines et allemandes) pour l’exploitation des gisements de minerai de fer.

Puis vient la période des coups d’état et de la guerre civile :

 President William R. Tolbert, Jr. pursued a policy of suppressing opposition. Dissatisfaction over governmental plans to raise the price of rice in 1979 led to protest demonstrations in the streets of Monrovia. Tolbert ordered his troops to fire on the demonstrators, and seventy people were killed. Rioting ensued throughout Liberia, finally leading to a military coup d’état in April 1980. Tolbert was killed during the coup, and several of his ministers were executed soon afterwards, marking the end of Americo-Liberian domination of the country.

Samuel Doe, l’auteur du coup d’état est Krahn. Il se trouvera confronté à un de ses anciens alliés, Charles Taylor, plus ou moins pro-américain, et plus ou moins certainement soutenu par la CIA qui lance une guérilla fin décembre 1989 depuis la Côte d’Ivoire voisine, fondant le NPFL, National Patriotic Front of Liberia. Il remporte de rapides victoires, prenant le contrôle de la plupart du pays, mais Prince Johnson, un subordonné crée un autre mouvement rebelle, l’Independent National Patriotic Front of Liberia et s’empare de la capitale, délayant retardant sa victoire. Après que des tensions ethniques s’installent et que le conflit se complexifie, la guerre civile dure jusqu’en 1997.

Elle se voit à l’œil nu sur les indicateurs du pays :

Et c’est sans compter sur la seconde guerre civile Libérienne (1999-2003).

 

 

On croirait une sorte de fable qui nous rappelle que la solidarité naissant de la couleur de peau et de l’oppression coloniale partagées n’empêchent nullement des hiérarchies de s’installer. Je sais pas si c’est pertinent, dans un sens ou l’autre, dans cette question de l’appropriation culturelle.

 

P. S. : Puisqu’on me demande des précisions : non, je ne pense pas que la notion d’appropriation culturelle dans son ensemble soit inepte (ou à l’inverse que ça soit toujours tout le temps le pire des péchés mortels sans mesure) mais je pense effectivement qu’en l’occurrence, les afro-américains et les africains n’ont pas vraiment d’ascendant culturel décisif et hégémonique d’un groupe sur l’autre, dans un sens ou dans l’autre. D’où peut-être que cette notion n’est pas super pertinente ici.


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