Exemple de malversation chez Acharya S

[Texte de Paul de Man obtenu à travers Albert McIlhenny]

Certains se demandent peut-être d’où vient ma virulence envers les astrothéologiens dans la mesure où dans notre chère France, terre des arts, des armes et des lois, on est plus souvent confronté à des mythistes athées rationnalistes à la Onfray. Hé bien c’est qu’ils ont eu un impact mondial récemment à cause de Zeitgeist (2007) le film de Peter Joseph. Si vous me trouvez tout aussi obsédé à propos de Zeitgeist je ne nierai pas, cependant, je constate tous les jours que des prétentions absurdes de ce film se retrouvent encore arborées sérieusement tous les jours par des gens qui se prétendent rationnels et éclairés. A la Soupe Populaire, nous accueillions une fois une bénévole qui étudie à l’école hôtelière et qui vient de la région de Qindao en Chine. On discute, on parle de communisme (forcément) et à un moment elle mentionne le film qu’absolument il faut que je voie, mais dans le bar bruissant de musique sud-américaine je peine à comprendre le nom du film. Elle l’écrit alors sur une serviette et la retourne vers moi. En lettres majuscules et sinistres je lis alors

ZEITGEIST

C’était plus pour le côté utopiste de Zeitgeist (et le Venus Project) mais je continue de rencontrer des gens randoms qui l’ont vu.

Et Zeitgeist est terriblement mal écrit. TERRIBLEMENT. Prenez ce qu’ils disent d’Âttis.

Il y a de nombreuses sources qui nous décrivent l’histoire d’Attis, sous diverses formes (Diodore de Sicile, Pausanias, Arnobe l’Ancien, Firmicus Maternus) et il semble y avoir un subtexte de supplice et de résurrection assez marqué (même si probablement tardif). On peut donc monter un dossier avec un certain succès pour affirmer qu’Attis a inspiré Jésus.

Mais ça ?

Attis Zeitgeist

 

Ca, mes amis, c’est une blague. C’est une triste parodie d’analyse. C’est un pastiche des listes de parallèles les plus débiles établies par Kersey Graves dans ses moments d’errance. Attis, crucifié ? Attis né le 25 décembre ?

Et on doit ça à Acharya S, qui a simplement mal fait ses devoirs et beaucoup contribué à l’écriture du film. Tout le monde lui est tombé dessus. Elle aurait pu s’excuser et passer à autre chose, mais elle décida de simplement continuer à publier des livres en étayant ses prétentions les plus extravagantes à l’aide de n’importe quoi.  Ainsi ce visuel partagé autour de novembre 2013 :

truthaboutzeitgeist

Une première colonne montre les captures de Zeitgeist, une deuxième prétendait, dans un précédent meme, les réfuter. Acharya S nomme cette colonne « pseudoscholarship » et prétend réfuter la réfutation dans la troisième. Sympathie : la deuxième colonne est effectivement pleine d’approximations ou de raccourci. La religion égyptienne a trop varié pour qu’on ait là, dans un sens comme dans l’autre, un portrait raisonnable du dieu Horus, et le laïus sur Attis est également faux et absurde (Attis était mort tout l’hiver ? Pure spéculation sur son statut de dieu de la végétation, ce me semble).

Remarquez ce qui s’est produit : dans le cas de Mithra, elle utilise indifféremment le Mithra romain, védique ou perse (équivocation absurde), dans le cas de Horus elles trouvent des incantations circonstancielles qui étayent son propos. Mais dans les deux cas, des sources primaires.

Quant à Attis ? Que des sources secondaires, des écrivaillons, pas un auteur antique. C’est le problème de miner des informations pour soutenir une thèse après avoir publié le film (le faire avant aurait été plus intelligent) parfois on trouve des trucs qui vont dans notre sens, parfois on doit juste inventer :

  1. « Attis is the son of Cybele in her form as the virgin Nana who is impregnated by the divine force in the form of a pomegranate » Dr. David Leeming, University of Connecticut.
  2. The god is « the castrated and crucified Attis » Dr. Josué V. Harari,
  3. « Each year, Attis was born at the winter solstice » Shirley Toulson
  4. « The youthful Attis after his murder was miraculously brought to life again three days after his demise » Dr. Andrew Fear

Quatre individus, pratiquement contemporains, pas un antique.

Je vais simplement défausser les termes apportés sans preuves, mais avant de consulter l’argumentation dont sortent ces extraits, regardons de qui il s’agit.

Shirley Toulson fait dans la pseudohistoire néopaïenne du même genre, ne nous fatiguons même pas, c’est d’ailleurs le seul nom invoqué sans doctorat.

David Leeming de l’université du Connecticut est spécialiste en littérature comparée (je crois que c’est lui), néanmoins il semble décrire le mythe un peu par-dessus la jambe. Certes Nana conçoit Attis sans coït, mais à partir d’un fruit qui poussa des parties génitales d’Agditis, donc même s’il y a médiation végétal, c’est quand même très génital.

Andrew Fear et le seul à avoir à peu près le niveau d’expertise, cependant, il ne bossera plus sur ces sujets, cela semble juste un des ses premiers articles et diablement spéculatifs. Sa théorie des trois jours de résurrection vient de l’écart entre le Dies Sanguem et l’Hilaria sur le calendrier philocalien de 354. Le dies sanguem serait la mort d’Attis et l’Hilaria serait la joie de sa résurrection, mais rien ne le prouve réellement. Mais pourquoi pas, admettons, ce n’est pas le sujet que je contestais vraiment, il y a sans doute une thématique de résurrection. Sauf que Fear dit l’inverse : que le culte d’Attis s’est inspiré du christianisme :

Attis too with his strong emphasis on resurrection seems to be a late-comer to the cult; the stress on the Hiliaria as celebrating the resurrection of Attis also appears to increase at the beginning of the fourth century A.D. : the same time as the change in the taurobolium towards being a rite of personal redemption ocurred.
While thes changes could simply be the mutation of a religion over time, and it is important to remember we are discussing a period of centuries not merely of years, they do seem to have been provoked by a need to respond to the challenge of Christianity. (pp. 41-2)

Donc je doute qu’Acharya S ait vraiment lu ce (médiocre) article.

Ce qui était vraiment frappant c’était l’invocation de la crucifixion, évidemment fausse ou fabriquée. On voit que le solstice d’hiver nous vient d’un autre vendeur de pseudohistoire, mais pour la crucifixion la malversation est encore plus frappante.

Josué V. Harari est un spécialiste de littérature comparée, ce que nul ne nie, même si difficilement pertinent dans le cadre de l’étude des religions antiques. La phrase vient d’un de ses livres Textual Strategies : Perspectives in post-structuralism cricitism [Gbooks] Enfin, un de ses livres, non, c’est simplement qu’il y a son nom sur la couverture car il l’édite. Mais contrairement à ce que prétend Acharya S cette phrase n’est pas de Harari, mais de l’auteur d’un des articles, Paul de Man, lui aussi travaillant dans le domaine de la littérature comparée. « Castrated and crucified Attis » n’est PAS une phrase écrite par Harari, mensonge.

Et je m’emporterais encore contre ces littéraires qui se croient tout permis et parlent des religions antiques, mais Paul de Man ne parle en aucun cas ici du Attis antique, mais bien du poème de Yeats Vacillation paru en 1932, où Attis symbolise le paganisme mourant et est rapproché du Christ. Il existait alors suffisamment de malversations et de mensonges autour des liens Attis-Jésus pour considérer que Yeats, au mieux, ne fait que les répéter et ne saurait en aucun cas être une source de connaissance  particulière sur le réel culte d’Attis et encore moins un commentaire de Paul de Man fait sur ledit poème.

Lire le passage rend encore plus clair à quel point cette prétention est aberrante :

Est-ce qu’Acharya S ne comprend vraiment rien à ce qu’elle lit ? Ou est-ce qu’elle ne l’a simplement pas lu ?

Vous voyez, si vous cherchez « crucified Attis » vous pouvez, sans le moindre contexte, voir en snippet view, la ligne du texte de Paul de Man sur Google Books. Et à mon avis c’est exactement ce que Acharya S a fait : chercher « crucified Attis » dans Google Books et balancer le premier résultat comme preuve de ses divagations, plutôt qu’admettre son ignorance au moment où elle écrivit pour Zeitgeist. Cela expliquerait pourquoi elle attribue la phrase à Harari, puisqu’elle n’a pas accès au livre, elle a simplement mis le nom du type qui était sur la couverture, ne pouvant voir que l’article était écrit par Paul de Man.

Donc Acharya S, de ce que je vois, après avoir léché ses plaies pendant six ans dans les tréfonds des bibliothèques a désespérément tenté de montrer au monde qu’elle avait raison, en cherchant les premiers trucs qu’elle trouve sur Google Books.

Ignorance ou malversation délibérée ? Ces quatre citations n’ont été mises là que pour convaincre les gens par accident et pour nous faire perdre du temps en en démêlant l’origine.

Un tel niveau d’incompétence ne peut exister sans malfaisance.


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