Je voulais faire quelques remarques sur deux vidéos récentes qui essaient de s’attaquer à la Théorie des Anciens Astronautes.
D’abord, la suite d’une réfutation du documentaire L’Autre Terre des Dieux par la chaîne Temps Mort. J’ai dit sur Twitter que la partie mythologique était pas mal, surtout pour un petit catalogues de géants qui m’a surpris, mais j’avais quelques pensées supplémentaires.
L’Autre Terre des Dieux, c’est un documentaire de Deï Mian, bizarre mais malheureusement pas très original. Gambit classique des Anciens Astronautes : on a tellement envie de féerie qu’on se persuade que les mythes existent pour de vrai, on prend des récits parabibliques sur le fait que des géants auraient été engendrés par l’union des « fils de Dieu » avec des femmes humaines, on croise ça avec des récits de création mésopotamiens où l’humanité est créée pour être les esclaves des dieux et on dit que c’était en fait des extraterrestres. Qui ont donc créé l’humanité pour les servir et des espèces intermédiaires auraient été des géants, etc. Ensuite le documentaire essaie de prouver que les Daces étaient genre des géants aidés par les extraterrestres, en mentionnant des gens qui pensent avoir trouvé des gros ossements, en exagérant toute trace d’un mec un peu costaud dans l’antiquité, ou en prétendant que des gros cailloux sont vivants et sont des prototypes de géants aliens (?).
La vraie réponse à ça c’est qu’on pourrait prendre n’importe quel récit de création de l’homme et affirmer que les dieux à qui la création est attribuée sont en fait des extraterrestres, mais ce qui s’est vraiment produit c’est un biais anthropomorphe où les hommes se sont demandés d’où ils venaient et ont imaginé que les pouvoirs qui les avaient façonnés devaient avoir à peu près la même forme et le même fonctionnement qu’eux — et ont donc produit des récits ou Yahwé, Prométhée ou Khnum façonnent les humains. Ceux-ci ne sont même pas vraiment des récits indépendants, le thème de la création à partir d’argile ayant rayonné du Proche-Orient puisqu’on le trouvait en sumérien. Bien sûr le récit se trouve dans la Genèse, mais c’est un peu trop familier, faut prendre des mythes plus exotiques pour commencer.
(Khnum façonnant l’homme sur un tour de potier à Dendera, Wikimedia Commons)
Personnellement je pense que tout le monde a la choix de mettre son temps et ses ressources limitées pour défendre la thèse qu’il lui plait, ou combattre celles qui l’embêtent (j’ai moi-même plusieurs moulins contre lesquels je continue de me ruer) mais je dois dire que « les anciens Roumains étaient en fait des géants issus d’enculades extraterrestres » est un peu trop stupide pour que je m’y consacre.
Par contre je remarque des problèmes révélateurs dans la traitement de la mythologie. Pour prétériter un peu la surprise de ma conclusion, je crois qu’un des problèmes c’est justement qu’on s’acharne sur des détails, donc je vais ironiquement faire la même chose et répondre en m’acharnant sur d’autres détails.
Dans sa première vidéo dessus (ici dans sa forme éditée où différente personnes jouent les extraits du documentaire qu’ils ne peuvent plus montrer parce que le détenteur des droits ne cesse de le signaler), on dit que les grecs ont en fait piqué aux Thraces des divinités comme Orphée, Artémis ou Apollon. Temps mort répond :
ah le bon gros discours nationaliste c’est nous qu’on a la plus grosse la plus puissante la plus longue et puis on a essaimé partout, toutes les civilisations nous doivent le respect. Sauf qu’en fait non toutes les civilisations qu’elle soient celte, dace, grecque, elles viennent des Indo-Européens. Et ces Indo-Européens ont un socle commun de croyances, un panthéon qui se ressemble à peu près, avec les mêmes traits les mêmes attributs pour les dieux, les mêmes fonctions. Tout ça se ressemble beaucoup parce que tout est parti d’une souche commune qu’on appelle les Indo-Européens. (15’20)
Ne relevons pas la phrase disant que « toutes les civilisations » viennent des indo-européens parce qu’il voulait évidemment dire « toutes ces civilisations », celles qu’il énumère ensuite.
Par contre l’idée que tous les panthéons indo-européens se ressemblent profondément, et donc que la question d’emprunts entre différents peuples indo-européens est triviale, c’est absurde et montre à mon avis une certaine ignorance de la mythologie comparée.
Il n’y a pas vraiment de « socle commun » entre les mythologies et panthéons grecs, celtes, indiens, etc. Les dieux les plus importants ne sont pas simplement des décalques les uns des autre. Sinon répondez-moi pour prendre l’exemple du film : qui est l’Orphée des Celtes ? Montrez-moi Apollon en Inde, ou Artémis dans la mythologie nordique ? La question devient absurde parce que même les dieux qui leur seraient comparables dans ces contextes ne le sont pas forcément à cause d’un héritage commun mais souvent à cause de phénomènes de convergences, de coïncidences, ou même peut-être d’emprunts à d’autres aires culturelles.
Les parallèles véritablement trouvés par la mythologie comparée de Dumézil sont loin de montrer qu’ils avaient tous le même stock de dieux, au contraire, il y a un effort intellectuel conséquent pour rapprocher les paires Varuna/Mitra, Romulus/Numa Pompilius et Odin/Tyr, par exemple. Au premier regard, aucun rapport entre Viðr et Vishnu mais Dumézil montre pourtant que tous deux semblent hériter du même proto-récit, du même personnage. Même quand il y a des similarités, c’est loin d’être toujours facile de les mettre en évidence. Regardez la chaîne de Dynamythes pour quelque exemples de cette mythologie comparée :
Je vous renvoie aussi à notre conférence de décembre dernier où je consacre la deuxième partie à une comparaison des divers dieux forgerons indo-européens. Oui, ils ont des dieux forgerons, comme beaucoup d’autres peuples qui ont des forgerons et ne sont pas du tout indo-européens, mais quand on essaie de retrouver un archétype commun ça se complique.
Bien sûr l’idée que les grecs ont empruntés Artémis, Orphée ou Apollon aux Thraces parce que leur histoire est parfois liée à la Thrace ou qu’on y trouve des variantes syncrétiques de ces dieux, c’est encore plus hasardeux, mais botter en touche en disant « c’est des Indo-Européens donc ils ont tous les mêmes dieux » c’est de mauvaise foi.
Dans sa plus récente vidéo il attaque une des affirmations du documentaire : Faisons un petit tour des mythologies, dit-il, pour voir si les géants sont bien fils de dieux et de filles des hommes. (1’22)
Et il énumère ensuite plein d’occurrences de géants dans la mythologie où ça n’est pas le cas, où ils ne sont pas engendrés par l’union d’un dieu et d’une humaine, et ce pendant près de trois minutes. Je ne vous reproduis pas le laïus, mais je crois qu’il y a une légère incongruité dans la réponse qui fait que la réfutation passe un peu à côté de ce qui est vraiment avancé.
Regardons ce que dit exactement le documentaire :
« Beaucoup d’écrits, particulièrement ceux de l’ancien testament soutiennent que les fils de dieu se seraient unis aux filles des hommes et que leurs enfants auraient été les fameux géants mentionnés dans un grand nombre de mythes. »
Or c’est littéralement ce qui est dit dans le sixième chapitre de la Genèse :
Lorsque les hommes commencèrent d’être nombreux sur la face de la terre et que des filles leur furent nées,
les fils de Dieu trouvèrent que les filles des hommes leur convenaient et ils prirent pour femmes toutes celles qu’il leur plut.
Yahvé dit : « Mon esprit ne demeurera pas dans l’homme, puisqu’il est chair ; sa vie ne sera que de cent vingt ans. »
Les Nephilim étaient sur la terre en ces jours-là (et aussi dans la suite) quand les fils de Dieu s’unissaient aux filles des hommes et qu’elles leur donnaient des enfants ; ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux.
Genèse 6.1-4 (trad. Bible de Jérusalem)
C’est la Bible qui dit « ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux », pas le documentaire, c’est le texte de la Genèse qui s’adresse à son audience, qui connaissait sûrement des histoires de héros très forts, de géants mêmes, et de dire que leurs forces et leurs prouesses leur venaient d’avoir été des descendants de dieux (enfin de fils de Dieu) — prenez le contexte du Proche-Orient, pensez seulement à Gilgamesh (qui est aux deux tiers divin) et à la pléthore de demi-dieux grecs qui descendent de Zeus (suivant à quelle époque ce texte a été rédigé, ses rédacteurs devaient être familiers avec ce genre d’histoires).
C’est donc bien la Bible qui fait cette relecture de la mythologie, et la traduction classique de Nephilim c’est bien « géants ». Typiquement Temps Mort discute ensuite un passage du Livre des Nombres cité par le documentaire (6’10) où des envoyés de Moïse voient des géants en Canaan :
Et ils décrièrent devant les enfants d’Israël le pays qu’ils avaient exploré. Ils dirent : Le pays que nous avons parcouru, pour l’explorer est un pays qui dévore ses habitants ; tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ; et nous y avons vu les géants, enfants d’Anak, de la race des géants ; nous étions à nos yeux et aux leurs comme des sauterelles.
Nombres 13.33, trad. Nouv. Ed. de Genève
Le terme employé ici, c’est à nouveau Nephilim. [נְפִילִים]
Donc l’implication est bien là. Monsieur Temps Mort répond comme si le documentaire avait fait l’affirmation légère que dans toutes les mythologies du monde les géants étaient des fils de dieux et de femmes humaines, mais non, le documentaire pointe seulement que la Genèse disait « pensez à tous ces héros mythologiques que vous avez en tête eh ben s’ils étaient si forts c’est parce que c’était des espèces de géants qui descendaient des fils de Dieu et des femmes ». Temps Mort se retrouve donc à perdre du temps à argumenter contre quelque chose que le documentaire n’avait même pas vraiment prétendu ni eu besoin de prétendre.
Comme le documentaire le fait lui-même il s’agissait pour la Genèse d’une tentative d’intégrer les données d’autres mythologies dans son propre récit. Mais ça donne l’impression que Temps Mort ne connaissait simplement pas ce passage biblique et réfute le documentaire ligne par ligne en allant lire Wikipédia.
Je pense que la réponse reste très intéressante puisque le documentaire affirmant basiquement que telle mythologie est en fait une dépiction légitime de frasques extraterrestres antiques, c’est pertinent de montrer que la logique de ce récit ne se retrouve pas telle quelle dans le reste de la mythologie. En outre, pour ceux qui seraient tombés dans l’escarcelle du documentaire à cause de leur intérêt pour la mythologie, cela les pointe vers un autre exutoire, et d’autres pistes pour sortir de cette démence et recommencer à considérer ces histoires comme des histoires. Mais ç’aurait aussi été une bonne chose de montrer une bonne compréhension de la tradition biblique qui est référencée ici, sinon quelqu’un qui a plongé dans ce folklore et vaguement lu la page wikipédia du livre d’Hénoch pourra remarquer cette disparité.
Si on voulait vraiment jouer aux cons on pourrait aussi pointer qu’il n’est pas explicitement dit que les Nephilim sont les enfants des fils de dieu et des femmes, ni même que ce sont des géants. On nous dit d’abord que les fils de dieu se sont accouplés aux femmes, puis que « En ce temps là, les Nephilim étaient sur la terre », ce qui n’implique pas forcément que ce sont leurs descendants.
Cependant c’est une lecture parfaitement compréhensible, et la lacune logique sera bouchée par toute la littérature hénochienne, dont le Livre d’Hénoch qui développe ce récit de la chute des « anges » et de leurs tentatives ultérieures de corrompre l’humanité. Effectivement ils engendrent des géants et ces géants et dans la démonologie ultérieure vous retrouverez beaucoup l’idée que les esprits de ces géants deviennent des démons en mourant, par exemple.
Le documentaire cite bien sûr le livre d’Hénoch quelques instants après :
Le livre d’Hénoch est un ouvrage de l’ancien testament que l’église n’a jamais reconnu nous y apprenons au chapitre 7 que ces géants issus de l’union des femmes et des dieux sont appelés les Nephilim.
Même si ça précise pas l’existence des différents livres d’Hénoch, et que techniquement l’histoire est déjà fortement sous-entendue dans la Genèse, dont vient le terme Nephilim, c’est presque vrai. La réponse de monsieur Temps Mort me semble étrange :
Faux ! Déjà l’église a reconnu le livre d’Hénoch jusqu’au IVe siècle en plus nous avons des églises aujourd’hui qu’ils le reconnaissent toujours comme l’Eglise éthiopienne orthodoxe par exemple.
Un peu gros de dire « par exemple » alors que c’est les seuls. (j’imagine que comme moi il va voir sur Wikipédia)
(Fragment aramaïque du livre d’Hénoch trouvé à Qumran)
La tradition des Nephilim a vraiment posé problème, même si de nombreux pères de l’Eglise l’utilisaient régulièrement dans les premiers siècles. Voyez Justin Martyr, Athénagore, Irénée, Tertullien, Origène, etc. toute la bande, quoi. L’influence de la tradition pointait déjà le bout de son nez dans la seconde épître de Pierre et l’épître de Jude. Mais la popularité du livre d’Hénoch allait décroître à mesure que l’histoire même des Nephilim était de moins en moins racontée, et que la déchéance des anges était expliquée par la thème de leur rébellion plutôt que par leur luxure et leur union avec les femmes. Le fait que l’Ethiopie l’ait intégré dans son canon ne change pas vraiment son statut marginal. Je pense pas que ce soit un mensonge du documentaire, le texte circulait avant que les canons s’établissent, oui, mais malgré son influence le texte a été exclu de presque tous les canons quand est venu le temps de choisir un corpus fermé de textes. On pourrait leur reprocher d’avoir dit que « beaucoup de textes » mentionnent cette tradition, je suppose, mais vous voyez qu’elle a justement été influente, même si uniquement dans la sphère juive et chrétienne, logiquement.
Je disais que le catalogue de géants mythologiques était intéressant, mais j’ai encore l’impression qu’il s’agissait d’une réponse épidermique quand je vois les remarques suivantes, toujours sur le livre d’Hénoch :
Par comparaison l’église catholique romaine reconnaît 63 textes apocryphes pour l’ancien testament et 74 pour le nouveau testament. Donc piocher au hasard dans ces 137 textes on appelle ça du cherry picking. (4’34)
Donc quoi, quand on parle d’un texte apocryphe on devrait parler de tous les textes apocryphes simultanément, pour que ce soit statistiquement significatif ? Je comprends même pas l’idée ni ce que ça essaie de critiquer.
Aussi il précise : les Nephilim ne sont pas les fils des femmes et des dieux mais des femmes et des fils de dieux. (4’50) Ecoute c’est techniquement vrai mais est-ce que ce genre de nuance est importante pour quelqu’un qui en est arrivé au point de croire que les géants existent ? Je crois que ça change rien pour eux en fait, qu’est-ce qu’on s’en fout. Surtout que dans un contexte de mythologie comparée justement, c’est évident qu’on peut comparer les bənê ĕlōhîm de Genèse 6 aux bn il qu’on trouve en contexte ugaritique. (e.g. KTU 1.40, 1.65), les « enfants de El », qui là sont clairement des dieux. Pareil plus tard, (24′) il corrige un récit mésopotamien sur Enki et Enlil, et pointe qu’un des dieux mentionnés par après n’est techniquement pas un dieu mais un titan (sans donner les détails). Mais qu’est-ce que ça change vraiment ? Est-ce qu’en changeant cette variable l’équation est différente ?
Et c’est ça le vrai problème : si l’argument du documentaire c’est que les mythes de géants prouvent que les géants existent et que ta réponse se limite à « t’y connais rien en mythes de géants je vais te montrer » en pointant les détails de la mythologie qu’ils ont faux, tu t’es perdu à argumenter à côté.
Mais le vrai problème c’est pourquoi les gens en viennent à considérer ces mythes comme une source fiable pour faire de l’histoire, pas qu’ils ont mal lu les notes de bas de page.
Heureusement, la spécialité de Temps Mort c’est l’archéologie, et je pense que les parts de sa réponse qui ne concernent pas la mythologie sont bien plus ancrées et à mon avis convaincantes (même si un peu ironique pour un format nommé Le Nettoyeur de Mythes mais je suppose que c’est l’ambivalence obligée quand mythe veut aussi dire « récit faux »).
Mais comparons sa réponse à une autre vidéo récente : celle de Quinton Reviews sur l’émission Ancient Aliens qui a basiquement les mêmes hypothèses mais pour toutes les civilisations antiques et depuis 15 ans à la télé américaine.
Quinton pointe justement
- Qu’il ne va pas s’emmerder à répondre point par point, surtout quand d’autres le font déjà, précisément à cause d’à quel point c’est difficile de le réfuter quand ce n’est même pas vraiment une proposition. (14’45)
- La rhétorique du sous-entendu, le fait que leurs théories sont contradictoires, qu’ils ont fait genre 5 épisodes sur les statues de l’île de Pâques et arrivent chaque fois à une conclusion différente et encore plus stupide (16’30)
- Que l’émission divise sa parole entre des types qui disent « serait-ce possible que… » et laissent l’imagination du public faire le reste, et le type célèbre pour simplement dire que c’est des extraterliens. (18’30)
- L’environnement économique de History Channel, dans quel contexte matériel ils ont émergé et comment leurs programmes sont devenus de plus en plus allumés en quête d’attention dans un marché où leurs profits dépendent littéralement de l’attention qu’ils peuvent obtenir.
- Comment les documentaires invitent des universitaires respectés pour dire des banalités, entrecoupées par des cinglés qui viennent dire ensuite que ça prouve les aliens — problème pas du tout limité aux Anciens Astronautes, beaucoup de documentaires se donnent une crédibilité ainsi.
- Qu’il y a probablement un petit biais raciste à courir à travers tous les continents sauf l’Europe en affirmant que les indigènes étaient trop cons pour empiler des pierres et donc ils ont dû être aidés par des soucoupes volantes. (22′)
Et montre aussi leur malfaisance plus directement : l’émission encourage et même se filme en train de commettre des actes de vandalisme archéologique, en subtilisant des pierres sur un site et en les découpant sans raison. (28’30) Que l’émission frise dangereusement avec le nationalisme bizarre autour des pyramides de Bosnie, un autre exemple où une de ces théories cinglées contribue à la destruction d’un réel patrimoine archéologique. (29′) À l’inverse, Temps Mort (#4, 27’3) a un passage où on dit « si vous croyez qu’ils ont ré-enterré les géants, vous n’avez qu’à prendre une pioche et allez les chercher », tandis qu’une annotation à l’écran précise : « non en fait, faîtes pas ça, c’est du vandalisme » !
Et surtout Quinton propose une conclusion à tout ça : Ancient Aliens ne fait pas d’histoire mais essaie d’aligner les mythologies du monde entier sur la mythologie américaine, c’est-à-dire, les aliens. Tout le folklore et les mythes du monde entier ne sont que des reflets déformés de nos obsessions américaines pour les soucoupes volantes ces dernières décennies. (25′)
to me this is the equivalent of reading through ancient religions and trying to argue that each and every one was actually Jesus in a wig trying to mess with people. (25’50)
Pour moi c’est l’équivalent de parcourir toutes les anciennes religions et essayer de prétendre que chacune d’entre elle était juste Jésus avec une perruque en train de se foutre des gens. (traduction personnelle et approximative)
C’est bien plus convaincant de faire ça, de saper les fondements de l’entreprise de tous les côtés que d’affronter de travers l’idée que quand un extraterrestre encule un caillou ça donne un géant roumain en corrigeant les détails qui sont mal cités.
Il montre l’opportunité, le motif, mais surtout le crime lui-même, et son but.
Il faut dire que Temps Morts fait exactement la même chose dans sa dernière vidéo (27’28) en pointant précisément les biais nationalistes au coeur de L’Autre Terre des Dieux — ce serait malhonnête de ma part de prétendre qu’il est étranger à cette rhétorique — et je pense que ses vidéos touchent à plusieurs bonne stratégies.
Il préface cet argument en disant que les théories du complot de Deï Mian ça ne tient par car il n’est pas possible que certains des trucs mentionnés soient vrais ou dissimulés parce qu’ils seraient bien mieux documentés, et que tout se sait aujourd’hui. (22’50) Argument qu’il répète quand le documentaire disait que certaines découvertes seraient couvertes ou minimisées (25’50) il affirme que c’est impossible puisque on a internet donc quelqu’un les aurait posté sur internet. Il dit ensuite :
Trouver des squelettes de géants légitimerait la véracité historique de la bible alors qu’on vienne pas me dire que l’église n’a pas les moyens d’aller fouiner pour trouver des véritable squelette de géant elle est capable de faire du forcing sur la justice de certains pays pour éviter que les membres de son ordre soient un petit peu embêté de manière pénale, dont qu’on vienne pas me dire qu’ils sont pas capables d’aller trouver des descendants d’Anaq.
Il faut arrêter d’essayer de nourrir le soi disant complot des archéologues sur la politique mondiale parce qu’en vrai niveau influence l’archéologie elle est complètement à la ramasse on l’a souvent vu dans l’histoire c’est toujours la politique et où la religion qui ont imposé leur vision à l’archéologie et jamais l’inverse et ça c’est pour une raison très simple : le pognon Bah ouais c’est beaucoup plus facile d’influencer les résultats et les publications d’un laboratoire quand c’est toi qui finance le laboratoire.
Et maintenant devinette qui a le plus d’intérêt à découvrir des squelettes de géant ? 1) le ministère de la culture et de l’identité nationale roumain pour légitimer la supériorité de leurs peuples sur tous les autres européens ou 2) l’église pour légitimer la supériorité de leurs textes sur tous les autres bon en fait il y avait un piège c’est les deux donc si personne ne s’oppose à la découverte de squelettes de géant personne n’a d’intérêt à les dissimuler si on n’en trouve pas c’est juste parce que ça n’existe pas et s’il vous plaît arrêtez de dire qu’on tente de dissimuler des preuves mais les gouvernements sont pas si stupide que ça il serait capable de faire taire des labos d’envoyer l’armée pour dissimuler des preuves mais ils ne sont pas capables de faire taire un touriste et son cameraman ça vous dit pas d’arrêter de se foutre de la gueule du monde cinq minutes là. (27’06)
Autrement dit il pointe les pressions que des organisation peuvent faire peser sur l’archéologie dans leur quête de légitimité et les malversations scientifiques qui en ont résulté, tout en pointant justement que d’autres gens auraient eu intérêt à déterrer des géants par le passé — et donc qu’il est encore plus improbable qu’ils aient pu rester dissimulés s’il y en avait.
Il veut prendre un cas concret : les tablettes de Tărtăria qui contiendraient une écriture ou proto-écriture comme preuve que la Roumanie aurait vu l’émergence de l’écriture plus tôt. Un problème c’est que ces tablettes ont été recuites par ceux qui les ont exhumées pour mieux les préserver, ce qui empêcherait de les dater précisément. Le documentaire questionne les motivations de ces actions : est-ce que la datation aurait été trop risquée et aurait mis en péril le fait que l’écriture était née à Sumer ? Ou bien étaient-ce des pseudo-archéologues incompétents qui ne réalisaient pas que ça allait empêcher la datation ?
Temps Mort répond :
Ce qui est très marrant dans les hypothèses de Deï Mian, c’est qu’il en exclut une qui pourrait être tout aussi recevable : les tablettes pourraient-elles être des fausses que le gars auraient justement cuit pour éviter qu’on puisse révéler une supercherie ?
Oui je sais quand je vous annonce ça comme ça vous pourriez m’accuser de tomber dans le complotisme mais vous vous en doutez je ne formule pas cette hypothèse sans raison figurez vous qu’on en apprend de belles en fouinant du côté du contexte de découverte de ces tablettes personne ne sait qui a trouvé les tablettes certains disent que c’est l’archéologue lui-même d’autre que ce sont ces élèves alors que lui n’était pas sur le chantier. Quelques voix disent même qu’on aurait retrouvé les tablettes dans le stock des artefacts une fois arrivé au laboratoire.
Pour l’étude post-fouilles tout ça mis bout à bout a fait dire à certains que ces tablettes étaient probablement des fausses. On voit mal ce genre d’artefacts ne pas être repérés lors des fouilles elles n’apparaissent d’ailleurs pas sur les minutes de rapports de fouilles. Notons au passage que Vlassa a toujours refusé de s’exprimer sur la manière dont auraient été découvertes ces tablettes. […] Pourquoi est-ce que vous devriez me croire plus que Deï Mian et bien parce que je n’invente rien et tout ce que je viens de vous dire là c’est Marco Merlini qui il le dit lui même. (29’40-31′)
Marco Merlini étant le théologien ici invoqué par le documentaire pour son travail de 2003, alors qu’il était soutenu financièrement par la fondation nationaliste « Renouveau de la Dacie ». Dans un article qu’il cosigne justement on apprend que le site dont viennent les tablettes aurait été le lieu d’un rituel où tous les objets auraient été brisés avant d’être déposés dans les tombes. Fait bizarre : tous les objets… sauf les tablettes ? (33’40)
Les doutes s’accumulent, mais, un embarras révélateur, c’est que Temps Mort répète encore, juste avant :
« Et si je donne l’impression de tomber dans un genre de complot je vous invite à lire la première publication faite sur le sujet dans un magazine un magazine qui s’appelle Dacia magazine [il se moque ensuite du magazine] » (31’50)
On est littéralement en train de discuter la possibilité qu’une forgerie, de fausses reliques archéologiques soient couvertes par un théologien incompétent littéralement payé pour ça par un groupuscule nationaliste, littéralement un complot pour tenter de falsifier l’histoire, mais comme on a décidé que la rationalité c’était de s’opposer au vague concept de « complots » et de « complotisme » on se retrouve un peu embarrassé quand on est confronté à la réalité que les complots existent, et que des tonnes d’acteurs politiques font tout ce qu’ils peuvent pour réécrire l’histoire.
C’est aussi ironique de se dédouaner d’avoir des idées sulfureuses surtout que malgré ces trucs louches ça ne m’a pas vraiment l’air du consensus que ces tablettes sont des fausses.
Je sais que Wikipédia est souvent instrumentalisé par des allumés et les Dacio-centristes pointent un peu le bout de leur nez dedans, mais l’article français ne mentionne pas la possibilité de forgerie, et l’article anglais cite seulement un article de 2013 :
Qasim, Erika, « Die Tărtăria-Täfelchen – eine Neubewertung », Das Altertum 58 | 4 (2013), p. 307–318.
Vous me pardonnerez j’espère de prendre Wikipédia comme étalon, mais même cet article de 1993, que Temps Mort met en lien dans la description de sa vidéo, les prend encore très au sérieux. On y prétend d’ailleurs à la page 13 que les graphèmes dessus ne pouvaient avoir qu’une fonction religieuse « et je devrais insister exclusivement magico-religieuse », ce que mes pouvoirs d’historien des religions me permettent de traduire « attention je vais dire des conneries », et effectivement on nous dit ensuite que peut-être c’est de là que les Sumériens tiraient leur écriture ou même leur langue en fait (p. 21), pourquoi pas, et que ce merveilleux système d’écriture de la civilisation Vieille Européenne (à la Gimbutas) a périclité avec l’arrivée des vils Indo-Européens. (peut-être)
Je pense effectivement que leur contexte de découverte a l’air un peu louche mais Temps Mort est en train d’exposer un complot qui va contre un certain consensus universitaire. Et il a l’air d’avoir de bonnes raisons, mais mince, on avait dit que c’était précisément ce qu’on devait combattre !
Pour conclure cette série de pensées je devrais peut-être prendre un autre ton. Je sonne sûrement bien plus mesquin que ça ne mérite. Mais d’abord, justement, un problème de ton. Je crois qu’à de nombreux moments, les réponses sont pertinentes et incisives. Mais je pense aussi que si Temps Mort vise à convaincre des adeptes du documentaire ou des gens potentiellement embobinés par leurs mensonges (et bien sûr ce n’est pas forcément le but premier) l’agressivité fatiguée qui va avec risque de les repousser.
Je veux dire, je n’arrive pas à imaginer quelqu’un d’à moitié convaincu par le documentaire et qui se mettrait à regarder ces corrections et qui ne se sentirait pas un peu attaqué. Je pense que la colère vertueuse a une place dans les échanges où on attaque ces charlatans merdeux, mais je pense aussi qu’on risque de ne rallier que des convaincus qui se tapent mutuellement dans le dos. Tandis que regardez le ton du documentaire, ou bien de Ancient Aliens : que de la bonne humeur. On parle de découverte d’ossements, d’expériences extraterrestres sur des mutants, de guerres cosmiques, de complots mondiaux pour les dissimuler, et même de la Securitate roumaine et pourtant le ton reste relativement léger. Pas difficile de voir comment on se sent invité par le ton de mystère sympathique, de découverte curieuse, contrasté seulement par la narration tendue.
Mais serait-ce une bonne idée d’imiter ce documentaire pour lui répondre ? Serait-ce même possible ? Après tout le message n’est pas le même, et on incite à se retourner contre ces supercheries, un peu d’ardeur serait recommandé pour briser le sortilège, non ? Peut-être. Une autre mise en scène qui pourrait valoir le coup d’essayer serait d’accompagner un converti quelqu’un qui croyait à toutes ces histoires, et qui doit progressivement admettre qu’elles ne tiennent pas debout. De façon symétrique au chasseur d’alien qui s’extasie quand on lui montre des vieilles pierres et qui y ramasse pièce après pièce de puzzle je pense qu’un bon contre-documentaire pourrait inclure un tel personnage, qui va interviewer des spécialistes et voit ses croyances doucement mais sûrement mises en doutes. Ça déplacerait peut-être le cœur émotionnel du propos à une emplacement plus compatissant que de simplement avoir un universitaire qui se drape dans son savoir et ses gros mots. Bien sûr, toute mise en scène a quelque chose d’artificiel, comme nous le rappellent les lunettes de soleil de Temps Mort qui permettent de mieux supporter l’éclairage et je présume de lire le script sans se trahir par ses mouvements d’yeux, mais ça pourrait être intéressant je pense.
Sur le complotisme, ensuite. Le problème du complotisme n’a jamais été de croire que les complots existent : des acteurs qui se coordonnent secrètement (ou en tout cas discrètement) pour parvenir à leurs fins existent à tous les niveaux de la société et influent dessus à des degrés divers. Le problème a toujours été les méthodes inappropriées et les raisonnement hasardeux qui servent de preuve. Si L’Autre Terre des Dieux n’invoquait aucun complot, pas de dissimulation de la science officielle, pas d’agents de la Securitate qui réenterrent des géants, mais qu’ils affirment toujours que les anciens Daces étaient des géants extraterrestres, le documentaire serait tout aussi absurde. Et comme le révèle Temps Mort, révéler les motivations des acteurs impliqués et leurs combines est essentiel à réfuter leurs mensonges, donc on se marche un peu sur les pieds à focaliser sur l’inanité de la notion même de complot.
Il y a sûrement un peu de projection dans mes remarques acerbes. Ou même de masochisme. À travers ces vidéos c’est l’approche à laquelle je souscrivais auparavant que je flagelle et maudis, quand je pensais que ça valait encore le coup d’être le cinquantième à réfuter Zeitgeist point par point.
Et peut-être que ça vaut encore le coup, mais après cinq ans à produire des vidéos, personnellement je suis las, et je n’ai même pas achevé la première frappe pour laquelle on a pris de l’élan en 2015.
Et on se sent mal à critiquer quoi que ce soit dans ce genre de vidéos quand on ne sait que trop bien le temps et l’énergie que ça prend, surtout quand on bosse à côté. Comme je le remarquais tantôt, le format vidéo est très exigeant, et difficile à corriger, remonter, etc. écrire des articles de réfutation serait aussi une alternative moins coûteuse en temps de tournage et de montage, et ça marche plutôt bien pour Zeitgeist, pour être exhaustif. On perd en sensationnalisme, c’est vrai, mais à ce compte-là il faudrait que la vidéo résultat ait une finition aussi propre que ce qu’ils essayent de réfuter, niveau cinématographie, consiste en plus qu’un type qui parle à sa caméra entrecoupé d’extraits.
D’ailleurs ces extraits, comme il le lamente justement, sont immédiatement frappés par des copyright strikes, où le détenteur des droits fait bloquer la vidéo sur youtube. J’avais pu l’expérimenter dès le premier épisode de C’est Pas Sourcé : le court extrait de Religolous où Bill Maher dit des âneries (CPS #1, partie 2, à 18′) avait été automatiquement détecté. Heureusement la vidéo restait en place, mais youtube jouerait des publicités au bénéfice de Maher dessus. Il profitait donc même financièrement des tentatives de l’exposer, c’est rageant. La détection automatique nous a aussi sauvé d’un humour daté que j’aurais profondément regretté puisque toute une section du premier épisode devait reposer sur trois extraits de Kaamelott, insérés pour donner une texture un peu comique à la discussion, mais malgré ce bienfait, je réalisais qu’on devrait faire plus que discuter des extraits vidéos entrecoupés, et ça m’a amené à nous éloigner beaucoup de la réfutation de Zeitgeist pour produire des arguments qui se veulent intéressants en eux-mêmes, ou en tout cas qui essaient, les âneries servant au mieux de prétexte à les introduire.
Temps Mort a choisi une autre stratégie, c’est de faire rejouer les extraits du documentaire par divers collaborateurs dans la deuxième version des vidéos, appelée version censurée. Soyons honnête, l’argument devient pratiquement impossible à suivre quand il est lu par 15 personnes que je connais pas filmées dans des contextes diversement négligents. L’atmosphère du documentaire passe complètement à la trappe aussi, ce qui empêche de saisir vraiment le parfum du délire et ironiquement ça donne un air bien plus sérieux à leurs arguments !
Mais ça fait depuis 2017, donc trois années, trois années qu’il tente de répondre à ce documentaire et ce n’est même pas fini. Je l’imagine laborieusement remonter la vidéo pour la sixième fois en espérant que sa chaîne ne saute pas cette fois, et je sais exactement comment il se sent.
Ou plutôt qu’est-ce que j’en sais ? On peut imaginer Sisyphe heureux. Mais je sais comment je me sentirais, et comment je me sens.
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